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LE BLOG DE JACK - Ancien militaire des OPEX (Liban - Kosovo...) et porte-drapeau à l'UFAC des Côtes d'Armor.

09 Mar

Mali: la bataille des Iforas.

Publié par jack

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L’opération Serval s’attaque maintenant à la place forte d’Aqmi, où sont retenus nos otages.

« Quand j’ai vu la photo, je l’ai reconnu immédiatement. C’était bien Abou Zeid, affirme le journaliste tchadien Abdelnasser Garboa. L’officier qui l’avait prise deux jours plus tôt, le samedi 2 mars, avec le petit appareil numérique qu’il porte dans un étui à sa ceinture, était d’accord avec moi. L’offensive tchadienne avait commencé huit jours auparavant, le 22 février. Ce jour-là, on ne s’attendait pas à une réaction aussi forte de la part des gens d’Aqmi [Al-Qaïda au Maghreb islamique]. Ils nous ont tiré dessus avec toutes leurs armes. Le combat a commencé vers 10 h 30 et s’est terminé aux alentours de 19 heures. » Cette journée, le reporter n’est pas près de l’oublier. Il se trouve à 2 ou 3 kilomètres de la ligne de front avec le commandement tactique du général Oumar Bikomo et son adjoint, le général Mahamat Idriss Déby, le propre fils du président tchadien. Contrairement à la rumeur, cet officier n’a pas été blessé et donc pas hospitalisé à Paris. Abdelnasser fait la navette avec le PC opérationnel du général Abderamane Youssef Neiry et du colonel Youssouf Taïro, son second. Aucun ne sait qu’ils vont tomber dans un piège alors qu’ils pensent prendre leurs ennemis à revers.

Au lieu d’entrer dans la vallée d’Ametetai par le nord-est en venant de la ville de Tessalit, la colonne tchadienne est remontée quasiment à la frontière algérienne pour retourner vers cette vallée, par l’ouest cette fois. A leurs côtés, une demi-douzaine de pick-up des forces spéciales françaises qui servent de liaison avec l’état-major. « Ils ne combattent pas avec nous, explique Abdelnasser, mais fournissent du renseignement. Ils nous avaient informés que, dans cette vallée d’une trentaine de kilomètres, se cachaient des combattants d’Aqmi. » Abou Zeid et sa garde rapprochée pensent que si les Tchadiens attaquent par la piste de Tessalit, ils entendront les combats contre les postes avancés et auront le temps de s’organiser ou de fuir. Kalachnikovs, lance-roquettes RPG 7, canons de 14,5 mm à tir rapide, les Tchadiens tombent dans une embuscade.

« En fait, les terroristes ont été surpris et se sont défendus jusqu’à la mort. Pour progresser de 3 kilomètres, nous avons mis trois jours », confie Abdelnasser. Les troupes tchadiennes avancent dans l’oued asséché, sur les crêtes ou à flanc de montagne, quand elles le peuvent. Cette vallée est constituée de gorges étroites où le passage est très périlleux. Les Zagawa de la garde présidentielle disposent de deux traducteurs, mais ils ne connaissent pas le terrain. Leur seul avantage – et pas des moindres – est qu’ils sont habitués à combattre dans le désert et ne craignent pas la chaleur. Devant eux, il y a les membres du Dar (Détachement action rapprochée), l’unité d’élite qui ouvre la route, souvent à pied. Leur commandant adjoint sera tué au combat.

« Chez nous, les Tchadiens, on va jusqu’au bout. Les Français, eux, ont le souci des otages »

Planqués dans des postes aménagés dans les rochers, les djihadistes font des « boules de feu » pour essayer de fixer les Tchadiens. Même dans leurs véhicules blindés, ils ne sont pas suffisamment protégés. Comme en Afghanistan, les fous d’Allah ont placé des IED, des bombes artisanales dans le jargon de l’Otan, fabriquées avec des obus et des explosifs. Un blindé et deux pick-up chargés de combattants sautent sur ces pièges disposés sur la piste qui mène au PC d’Aqmi. « Avec les combats, il y a eu en tout 20 morts, plus 3 blessés qui décéderont peu après », raconte Abdelnasser. Cette fameuse journée du 22 février, les combats s’effectuent de façon rapprochée, de rocher en rocher. Plus loin, les soldats français se battent de la même manière, parfois à moins de 50 mètres de l’ennemi. En montant à l’assaut, un jeune caporal du 1er régiment de chasseurs parachutistes de Pamiers, Cédric Charenton, sera tué par les djihadistes.

Sous un acacia (au centre), les islamistes ont disposé un groupe électrogène de la société française Sogea-Satom. A droite, une cache d’armes et de munitions, à flanc de montagne. (Photo DR)

Les Tchadiens, comme les Français, sont surpris par tant de résistance. Personne, en face, ne se rend. Au contraire, ils sont comme enragés. Cependant, les djihadistes perdent pied peu à peu face aux soldats tchadiens réputés pour ne jamais lâcher prise. On leur a assigné un secteur et ils comptent bien le conquérir. C’est aussi une affaire d’honneur. « Aucun avion ni hélicoptère français n’est intervenu », affirme Abdelnasser. Peut-être parce que les combattants des deux camps étaient trop imbriqués. Impossible de tirer une bombe de 250 kilos à moins de 200 mètres, même si plusieurs commandos des opérations spéciales sont habilités à guider les avions pour qu’ils bombardent au plus près. « Mais, côté français, on n’était pas toujours content de la façon dont progressaient nos soldats, explique en souriant le journaliste tchadien. Chez nous, quand c’est parti, on va jusqu’au bout. On ne s’arrête pas. Les Français, eux, ont le souci des otages. »

Peu à peu, l’acharnement des Tchadiens commence à payer. Ils sont galvanisés par les morts qu’ils comptent dans leurs rangs. En face, le bilan est plus lourd. Il sera de 93 morts. La semaine qui suit est ponctuée d’accrochages. Mais, le 2 mars, les Tchadiens ne savent pas qu’ils vont tomber en réalité sur le noyau dur d’Aqmi, et même sur son chef suprême au Sahara : l’émir Abou Zeid en personne. Soudain, vers 16 heures, les combats reprennent de plus belle. Ils sont même les plus durs de la journée. Un groupe de salafistes est sorti d’une infrastructure entre les rochers, qui sert apparemment de PC, pour se replier un peu plus loin. Ils sont peut-être une dizaine à se battre comme des chiens de guerre. Mais ça ne suffit pas. Ils sont inférieurs en nombre et en puissance de feu. Ils savent qu’ils ne pourront pas tenir longtemps. « Soudain, on a entendu une explosion, puis plus rien. » C’est ce que racontera, deux jours plus tard, un officier du groupement blindé de l’armée tchadienne qui a pris les photos des cadavres sans savoir qu’il venait de tomber sur le dernier carré d’Aqmi, qui protégeait son chef. « On a l’impression qu’en se voyant perdus ces gens se sont fait sauter plutôt que de se rendre », raconte le journaliste tchadien.

Plutôt que d’être capturé, Abou Zeid aurait préféré se suicider ou exiger qu’on le supprime

Le cadavre qui ressemble à Abou Zeid, lui, porte pourtant une sale blessure au front ; mais son visage émacié, prolongé par un bouc en pointe, est intact. « Les combattants lui ont peut-être tiré une balle dans la tête avant de se supprimer à leur tour », ajoute le reporter, se fondant sur le sentiment de l’officier tchadien. Plutôt que d’être capturé, l’émir d’Al-Qaïda, qui détenait les otages d’Arlit au Niger, aurait donc préféré se suicider, ou exiger qu’on le supprime, avant que ses hommes se fassent exploser comme des kamikazes. Leurs corps désarticulés, à moitié déchiquetés, pourraient accréditer cette thèse émise par les soldats tchadiens présents dans le secteur. Ils ont même récupéré le passeport de Michel Germaneau, ce Français de 78 ans, malade, capturé et probablement tué par Abou Zeid en 2010. « Le périmètre du PC était miné et interdit, ajoute Abdelnasser, mais les forces spéciales françaises y sont allées. Elles ont récupéré dans le PC abandonné beaucoup de documents, des GPS et des téléphones satellitaires Thuraya. » Apparemment pas d’ordinateurs. Mais les numéros appelés par Abou Zeid représentent de précieuses informations qui sont maintenant exploitées.

A côté, les Français ont découvert un groupe électrogène, un bulldozer et une pelle mécanique de la société française Sogea-Satom, qui construit des routes dans le nord du Mali. Grâce à ces engins volés, les combattants d’Aqmi enterraient leurs véhicules ou creusaient des galeries pour se cacher des avions Breguet Atlantic qui survolaient la zone. Aujourd’hui, ce sont les drones Predator et les Harfang français basés à Niamey, au Niger voisin, qui survolent le massif des Iforas pour identifier les cibles. Des avions sans pilote, capables de voler pendant des heures à basse altitude, qui envoient en direct les images filmées par leurs caméras aux unités combattantes déployées sur le terrain. Ce sont elles qui ont permis de déceler la présence de groupes d’Aqmi dans la vallée d’Ametetai. « Les commandos français ont aussi prélevé des échantillons d’ADN sur le cadavre d’Abou Zeid », affirme Abdelnasser. D’où l’annonce par un journal algérien de la mort du chef terroriste. Car Paris a demandé à Alger un échantillon de son ADN, que les autorités algériennes ont prélevé chez des membres de sa famille. Depuis, la mort d’Abou Zeid apparaît quasi certaine, même si un djihadiste d’Aqmi, anonyme, affirme qu’il « n’a pas été tué » par les Tchadiens, qui étaient, selon lui, à 80 kilomètres de là, mais par un bombardement d’avions français.

Une façon de « légitimer » la mort de l’émir face à des avions et non pas au sol contre d’autres Africains, ce qui est moins glorieux dans la chanson de geste djihadiste diffusée sur Internet. Restent les otages, qui n’étaient apparemment pas avec Abou Zeid. Ce sont eux que cherchent les soldats français, guidés par des Touareg ralliés qui connaissent ce massif des Iforas comme leur poche. Reste aussi le second grand émir du Sahara, Mokhtar Belmokhtar, qui détient deux otages français. Le président tchadien affirme que ses troupes l’ont également tué, dans la même zone. Cela signifierait que les deux émirs s’étaient réconciliés, ce qui paraît peu probable. Le fief de Belmokhtar est plutôt dans la région de Gao. Il donnait ses rendez-vous à 70 kilomètres de cette grande ville de l’est du Mali, près du village de Ber, sur la rive du fleuve Niger. Pour fuir les soldats français, serait-il monté au nord se cacher dans le massif des Iforas ? Dans ce cas, s’il n’est pas déjà mort, sa survie risque d’être de courte durée, car ce repaire de djihadistes n’est plus inexpugnable. Mais comment savoir si les gardiens des otages, qui, privés de chef, pourraient donc les libérer, veulent prendre le risque d’affronter les troupes françaises ou les soldats tchadiens ?Point final

Source:Paris Match.

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