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LE BLOG DE JACK - Ancien militaire des OPEX (Liban - Kosovo...) et porte-drapeau à l'UFAC des Côtes d'Armor.

30 Mar

CBA Vouilloux: "La démilitarisation de l'Europe est suicidaire".

Publié par jack

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Le chef de bataillon Jean-Baptiste Vouilloux, à l’occasion de la sortie de son ouvrage « La démilitarisation de l’Europe », a répondu aux questions d’ActuDéfense. Il rappelle que ses propos n’engagent que lui et en aucun cas l’institution militaire.

ActuDéfense : Vous décrivez dans l’ouvrage que vous venez de publier, « La démilitarisation de l’Europe », le processus par lequel nos pays ont progressivement réduit leurs budget de Défense. Quels ont été les grands moteurs de cette démilitarisation ?


La situation économique de la Grèce impose au pays de renoncer à des pans entiers de ses forces. ©DR

CBA Jean-Baptiste Vouilloux : Depuis 2009, les Etats membres de l’Union européenne réduisent leurs budgets de défense avec constance et détermination : de 2010 à 2012, 21 des 27 Etats membres de l’Union Européenne ont baissé, ou simplement maintenu, leur budget de dépense. Parmi eux, 7 ont consenti des coupes de plus de 10%. A l’inverse, les dépenses militaires augmentent sur tous les autres continents : il existe donc un particularisme européen dont je tente de comprendre l’origine dans ce livre.

Bien évidemment, la crise financière de 2008 a accéléré cette dynamique de démilitarisation, mais celle-ci puise ses racines beaucoup plus profondément. En effet, les populations européennes, martyrisées par deux guerres mondiales, ont voulu conjurer une Histoire belliqueuse et meurtrière. La construction européenne s’est donc bâtie sur un projet profondément idéaliste, visant à bannir les rapports de force dans les relations internationales. Cette démarche fut un succès, puisque l’Europe a connu la plus longue paix de son histoire (à l’exception notable des Balkans). 

Par ailleurs, les institutions militaires européennes ont été profondément ébranlées, et remises en cause, par les mutations sociétales des années 1960. Enfin, la disparition de la menace soviétique et la conviction que les Etats-Unis protègent l’Europe ont renforcé le sentiment diffus que, finalement, les armées ne servaient plus à grand-chose. Volonté de sortir de l’Histoire, éloignement de la guerre, culte du soft power, déresponsabilisation stratégique, tous ces ingrédients expliquent qu’en période de crise économique, les budgets de défense sont les premiers sacrifiés en Europe.

Les Européens ont-ils tous la même approche de cette question ? Suivent-ils tous cette même tendance dans les mêmes proportions ?

Au-delà de ces facteurs communs, les pays européens traduisent différemment cette démilitarisation. En simplifiant beaucoup, et au risque de paraître caricatural, la plupart des pays d’Europe centrale et orientale, à l’exception de la Pologne, pratiquent la politique du moindre effort en termes de défense et appuient leur stratégie sur le bouclier américain. D’autres pays (Grèce, Espagne, Portugal), littéralement asphyxiés par la crise économique, n’investissent plus dans leur défense et sacrifient des pans capacitaires complets. Par ailleurs, des Etats comme les Pays-Bas, l’Autriche ou la Belgique, tâchent encore de participer aux coalitions internationales mais ont quasiment renoncé aux capacités conventionnelles de haute intensité.

Quant à l’Allemagne, elle aurait les moyens de devenir la première puissance militaire européenne (nucléaire exclue) mais s’y refuse politiquement. Enfin, la Grande-Bretagne et la France, qui peuvent encore aspirer au statut de grande puissance militaire, sont soumises à des pressions budgétaires qui les contraignent à reconsidérer leur niveau d’ambition. On le voit donc, à des degrés divers, tous les Etats membres de l’Union Européenne sont touchés par cette dynamique de fond : il n’y a guère que la Suède qui envisage d’augmenter son budget de défense dans les années à venir.

Vous sous-titrez votre ouvrage « un suicide stratégique ? », laissant supposer par ce point d’interrogation une incertitude. Pourquoi ce terme et qu’est-ce qui vous laisse penser que cette tendance à la démilitarisation est un processus dangereux ?

La mondialisation correspond à une ouverture économique et culturelle, mais n’a en rien éradiqué les rapports de force dans les relations internationales, bien au contraire. C’est fort de ce constat que les puissances émergentes investissent massivement dans le secteur de la défense. Ce décalage entre l’Europe et le reste du monde est d’autant plus préoccupant que notre proche périphérie est hautement anxiogène : qu’il me suffise d’évoquer les conséquences incertaines du printemps arabe, l’implosion de la Syrie, les risques d’escalade entre l’Iran et Israël, sans parler des rodomontades russes. Par ailleurs, absorbés par leur nouvelle stratégie asiatique, les Etats-Unis se désengagent sensiblement de cette partie du monde et il n’est pas certain qu’ils garantissent notre sécurité ad vitam aeternam. Dans ce contexte, la démilitarisation de l’Europe est suicidaire et j’assume la violence de ce terme. Pour autant, j’utilise le point d’interrogation car je suis convaincu qu’il n’est pas trop tard. En effet, l’extraordinaire patrimoine militaire de l’Europe ne sera pas effacé d’un trait de plume. De plus un nombre croissant de penseurs et de décideurs politiques prennent conscience de ces enjeux et comprennent que les Européens ne seront plus capables de défendre leurs intérêts en poursuivant sur cette voie.

Beaucoup considèrent que les mutualisations et les coopérations européennes constituent l’unique solution pour remédier à cette pression budgétaire qui touche de plein fouet les budgets de défense. Qu’en pensez-vous ?

Les programmes multinationaux, ici l'Eurofighter, ne sont pas toujours source d'économies autant qu'espéré. ©Sgt Jack Pritchard

Les programmes multinationaux, ici l’Eurofighter, ne sont pas toujours source d’économies autant qu’espéré. ©Sgt Jack Pritchard

Puisque les Etats membres de l’Union Européenne n’ont plus les moyens de financer leurs outils de défense, autant mutualiser : c’est le fameux « Pool it or loose it » évoqué par Catherine Ashton. L’équation est séduisante… mais un peu simpliste. En effets, les projets de coopération trop ambitieux fonctionnent mal car les programmes strictement nationaux ont l’avantage de préserver les intérêts industriels des Etats. De plus, quand trop de pays sont impliqués dans un programme, les exigences de chacun et les différentes versions développées entraînent du retard et des surcoûts, c’est-à-dire l’inverse de l’effet recherché. En fait, pour l’instant, les programmes de coopération qui marchent vraiment impliquent un petit nombre de pays aux ambitions semblables, et sur des capacités qui n’impactent pas leur souveraineté. Quant aux unités multinationales, elles se heurtent aux différences de culture et aux divergences politiques des gouvernements concernés. Les Européens seront mûrs pour des grands projets de mutualisation quand ils développeront une vision stratégique commune et rationaliseront leur industrie de défense à l’échelle européenne, ce dont on est encore loin.

Source: actudefense.

 
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